18 mars 2025

CINEMA : Filmographie Chantal Akerman

Ces derniers temps, j’ai une manière de regarder les films un peu particulière: je regarde TOUS les films d’unE réalisateur-trice dans l’ordre chronologique - même les courts-métrages de 30s, absolument tout. La dernière série en date concerne la réalisatrice belge, Chantal Akerman (1950-2015). Beaucoup de gens ne connaissent d'elle que JEANNE DIELMAN (1975), « le plus grand film de tous les temps » dit-on. Rien à redire, c’est fantastique: un peu comme un épisode de « Striptease » art et essai féministe. Radical et bouleversant, avec la magnifique Delphine Seyrig. Mais en vrai, je ne suis même pas sûr que ça soit mon film préféré d’elle – c’est dire la qualité de l’ensemble ! Petit best of perso à suivre ci-dessous donc.
 

 
HOTEL MONTEREY (1972)
Son 1er documentaire, tourné lors de son séjour à New-York, à 21 ans. Le début de son obsession pour les agencements intérieurs, les hôtels, les couloirs, les plans fixes sur les visages, le va-et-vient dans un ascenseur, le hall d’entrée, les escaliers, les chambres, la terrasse, dans un décor de cinéma suranné. Elle expérimente des cadrages qui seront repris dans Jeanne Dielman, s’essaie à épuiser la totalité d’un lieu, d’une journée, d’un instant, sans aucun discours, aucune voix off et, à vrai dire, AUCUN son DU TOUT. C’est très beau, un peu ennuyeux aussi et on y sent bien « passer le temps », comme voulait Chantal. Marquant.
 
 
 
 
JE, TU, IL, ELLE (1974)
Dans la 1ère partie, Chantal s’enferme dans un studio, fait le vide, écrit des lettres à son ex, déprime, dort, se promène nue, mange du sucre en poudre, regarde par la fenêtre, paresse. Puis elle part en stop, embarque dans un camion conduit par le jeune et sexy Niels Arestrup et nous entraîne dans une sorte de docu fiction à l’intérieur d’une cabine, les relais routiers et les pensées intimes d’un chauffeur. Puis elle retrouve son ex-copine et couche avec elle, coming-out lesbien dans un corps-à-corps brûlant où l'on baise un peu comme on lutte (une scène honteusement pompée par La Vie d’Adèle, tout son esprit en moins). Génial.
 
 


NEWS FROM HOME (1977)
New-York à nouveau, mais avec le recul des années. En voix off, Chantal lit les lettres plaintives que lui écrit sa mère lors de son séjour – tandis que la caméra filme le métro, les rues, les trottoirs, les immeubles, les bars, les fast-foods de New-York à sa manière si particulière. Tiraillée entre la fascination pour la gigantesque métropole et les platitudes racontées par sa mère, l’appel du grand large et les attaches familiales. Entre les deux émerge quelque chose comme le mal du pays. La dernière séquence, filmée en s’éloignant en mer dans la baie de New-York plongée dans le brouillard est splendide.
 
 
 
 
LES RENDEZ-VOUS D’ANNA (1978)
Des halls de gare, des chambres d’hôtel, la mélancolie du jetlag, la tristesse des amants de passage, les relations avec sa mère (« le centre de toute mon œuvre » dira-t-elle plus tard), les trains, la ville la nuit : il y a tout Chantal Akerman dans ce film, sans doute son plus autobiographique. À la fin de la 1ère du film, comme le raconte son actrice principale Aurore Clément, le public s’est mis à huer et elle dû sortir en se cachant sous un manteau. Il paraît que ça s'est passé comme ça pour la plupart de ses films. Une de ses plus belles œuvres pourtant.
 
 
  

L’HOMME A LA VALISE (1983)
Parce qu’Akerman peut aussi être extrêmement drôle. Son appart est envahi par un encombrant invité qui ne veut plus partir, un géant américain, bruyant et sans gêne. Prisonnière chez elle, Chantal s’enferme dans sa chambre, s’y fait à manger sur un réchaud, élabore des stratégies de plus en plus complexe pour ne jamais le croiser, sombre dans la névrose, essaie de le faire partir, n’y arrive pas, tout en marchant dans les couloirs comme Charlot – quand il n’est pas là. Elle veut un espace à elle pour pouvoir créer : Virginia Woolf meets Buster Keaton.
 
 
  

D’EST (1993)
Akerman a une manière bien à elle de faire des documentaires: pas de voix off, pas de commentaire ni de musique. Juste elle filme inlassablement, s’introduit dans les maisons, arpente les rues, les routes et essaie de TOUT montrer, sans parti pris. Du réel brut et pourtant esthétisé, sensible. Pour D’Est, tout est parti d’une installation vidéo. Des routes perdues dans la neige, des gares bondées et des villes dortoirs dans l'Europe post-soviétique. Et puis d'inoubliables travellings face à la foule à un arrêt de bus, «comme s’ils attendaient la mort» dira-t-elle, prétexte à une étonnante galerie de portraits sur fond de béton et de neige.
 
 
 

SUD (1999)
Dans cet autre documentaire, Akerman s’immerge dans une petite ville du sud des Etats-Unis, théâtre d’un effroyable crime raciste, commis par trois suprémacistes blancs. Elle laisse la parole aux proches de la victime, à ses voisins, à des témoins et parcourt les lieux de ce lynchage, dans toute leur terrifiante banalité. Puissant. À mettre en rapport avec « De l’autre côté », 3 ans plus tard, filmé des deux côtés de la frontière américano-mexicaine, après la construction du mur. Des migrantEs qui meurent dans le désert, des familles déchirées, des passeurs malhonnêtes et des rednecks « pré-trumpistes » paranoïaques.
 
 
 
 
LA CAPTIVE (2000)
Inspiré par La Prisonnière de Proust, le film se focalise sur la relation toxique entre ses personnages. Pathétiquement jaloux, Simon enferme, épie et pousse à la mort Ariane. Lui qui voudrait la contrôler se heurte au mystère de son désir. Au lieu d’en être attiré, il s'en effraie dans une traversée de la nuit qui rappelle parfois Eyes wide shut. Le film le plus sombre d’Akerman qu’une phrase d’Ariane résume tristement: «le désir, le hasard, la peur et la mort laissent les hommes et les femmes seuls face à face». Des séquences magnifiques sur les vagues la nuit ou les ombres qui fuient dans les ruelles. Sinistre et beau à la fois.
 
 
  

AVEC SONIA WIEDER-ATHERTON (2003)
Beau documentaire sur sa compagne violoncelliste. Après une 1ère partie où Wieder-Atherton raconte sa découverte du violoncelle, la suite du film est composée de pièces musicales de Janacek, Berio, Monteverdi et Schubert, interprétées en solo, duo ou trio. Akerman joue avec les cadrages, les lumières. La caméra s’approche ou s’éloigne, le cadre s’élargit ou se rétrécit, la scène plonge dans l’obscurité ou s’éclaire, dialoguant ainsi avec la musique et créant une œuvre singulière, aussi belle à voir qu’à écouter. Et puis comme toujours avec elle, sur scène il n’y a pratiquement que des femmes – et ce n’est pas rien.
 
 
 
 
++

SAUTE MA VILLE (1968): son 1er "vrai" court-métrage. Le pendant de "Jeanne Dielman": Chantal s'enferme dans une cuisine et la dévaste avant de tout faire sauter au gaz!

LE 15-8 (1973) : une journée dans la vie d’une jeune finlandaise en vacances à Paris, paresse, ennui et mélancolie vaporeuse portés par une photographie superbe

DIS-MOI (1980): une série d'entretiens pour la télé avec des grands-mères juives qui racontent leurs souvenirs de la 2nde guerre. Le tragique de la shoah est contrebalancé ici par l'humour et la vitalité de ces femmes (et Akerman qui se fait engueuler parce qu'elle ne mange pas assez).

TOUTE UNE NUIT (1982) : Anatomie d’une chaude nuit d’été, les couples qui se font et se défont dans une ville enfiévrée

 

 
UN JOUR PINA M’A DEMANDE (1983) : Akerman meets Pina Bausch dans ce beau documentaire sur la chorégraphe allemande

LETTERS HOME (1986) : captation théâtrale de la correspondance entre Sylvia Plath et sa mère, avec Delphine Seyrig

HISTOIRES D'AMERIQUE (1989): mémoires de l'immigration juive à New-York, mélangées à des scénettes pleines d'humour.

 

 

NUIT ET JOUR (1991) : une femme a deux amants, l’un la nuit l’autre le jour, dans ce film au charme délicatement mièvre

PORTRAIT D’UNE JEUNE FILLE DE LA FIN DES ANNEES 60 (1994) : errances urbaines d’une jeune fille qui fait l’école buissonière et vit ses 1ers flirts. Elle dit : « plus je souffre, plus je souris, je chante même, je fais des choses extravagantes ».

NO HOME MOVIE (2015): son dernier film, consacré à sa mère morte peu avant. Poignant.

 


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