Ces derniers temps, j’ai une
manière de regarder les films un peu particulière: je regarde TOUS
les films d’unE réalisateur-trice dans l’ordre chronologique - même les courts-métrages de 30s, absolument tout. La
dernière série en
date concerne
la réalisatrice belge, Chantal Akerman (1950-2015). Beaucoup
de gens ne connaissent d'elle
que JEANNE
DIELMAN (1975), « le plus grand film de tous les temps » dit-on.
Rien à redire, c’est fantastique: un peu comme un épisode de
« Striptease » art et essai féministe. Radical et bouleversant, avec
la magnifique Delphine Seyrig. Mais en vrai, je ne suis même pas sûr
que ça soit mon film préféré d’elle – c’est dire la qualité
de l’ensemble ! Petit best of perso à suivre ci-dessous donc.
HOTEL MONTEREY
(1972)
Son
1er
documentaire, tourné lors de son séjour à New-York, à
21 ans. Le début de son
obsession pour les
agencements intérieurs, les
hôtels, les couloirs, les plans fixes sur les visages, le
va-et-vient dans un
ascenseur, le hall d’entrée, les escaliers, les chambres, la
terrasse, dans un
décor de cinéma suranné.
Elle expérimente des cadrages qui seront repris dans Jeanne Dielman,
s’essaie
à épuiser la totalité d’un lieu, d’une journée, d’un
instant, sans aucun discours, aucune voix off et, à vrai dire, AUCUN
son DU TOUT.
C’est
très beau, un peu ennuyeux aussi
et
on y sent bien
« passer le temps », comme voulait Chantal. Marquant.
JE, TU, IL, ELLE (1974)
Dans
la 1ère partie, Chantal s’enferme dans un studio, fait le vide,
écrit des lettres à son ex, déprime, dort, se promène nue, mange
du sucre en poudre, regarde par la fenêtre, paresse. Puis elle part
en stop, embarque dans un camion conduit par le jeune et sexy Niels
Arestrup et nous entraîne dans une sorte de docu fiction à
l’intérieur d’une cabine, les relais routiers et les pensées
intimes d’un chauffeur. Puis elle retrouve son ex-copine et couche
avec elle, coming-out lesbien dans un corps-à-corps brûlant où
l'on baise un peu comme on lutte (une scène honteusement pompée par
La Vie d’Adèle, tout son esprit en moins). Génial.
NEWS FROM HOME
(1977)
New-York
à nouveau, mais avec le recul des années. En voix off, Chantal lit
les lettres plaintives que lui écrit sa mère lors de son séjour –
tandis que la caméra filme le métro, les rues, les trottoirs, les
immeubles, les bars, les fast-foods de New-York à sa manière si
particulière. Tiraillée entre la fascination pour la gigantesque
métropole et les platitudes racontées par sa mère, l’appel du
grand large et les attaches familiales. Entre les deux émerge
quelque chose comme le mal du pays. La dernière séquence, filmée
en s’éloignant en mer dans la baie de New-York plongée dans le
brouillard est splendide.
LES RENDEZ-VOUS D’ANNA (1978)
Des halls de gare, des chambres d’hôtel, la mélancolie du jetlag, la
tristesse des amants de passage, les relations avec sa mère (« le centre
de toute mon œuvre » dira-t-elle plus tard), les trains, la ville la
nuit : il y a tout Chantal Akerman dans ce film, sans doute son plus
autobiographique. À la fin de la 1ère du film, comme le raconte son
actrice principale Aurore Clément, le public s’est mis à huer et elle dû
sortir en se cachant sous un manteau. Il paraît que ça s'est passé
comme ça pour la plupart de ses films. Une de ses plus belles œuvres
pourtant.
L’HOMME A LA VALISE (1983)
Parce
qu’Akerman peut aussi être extrêmement drôle. Son appart est
envahi par un encombrant invité qui ne veut plus partir, un géant
américain, bruyant et sans gêne. Prisonnière chez elle, Chantal
s’enferme dans sa chambre, s’y fait à manger sur un réchaud,
élabore des stratégies de plus en plus complexe pour ne jamais le
croiser, sombre dans la névrose, essaie de le faire partir, n’y
arrive pas, tout en marchant dans les couloirs comme Charlot –
quand il n’est pas là. Elle veut un espace à elle pour pouvoir
créer : Virginia Woolf meets Buster Keaton.
D’EST (1993)
Akerman a une manière bien à elle de faire des documentaires: pas de
voix off, pas de commentaire ni de musique. Juste elle filme
inlassablement, s’introduit dans les maisons, arpente les rues, les
routes et essaie de TOUT montrer, sans parti pris. Du réel brut et
pourtant esthétisé, sensible. Pour D’Est, tout est parti d’une
installation vidéo. Des routes perdues dans la neige, des gares bondées
et des villes dortoirs dans l'Europe post-soviétique. Et puis
d'inoubliables travellings face à la foule à un arrêt de bus, «comme
s’ils attendaient la mort» dira-t-elle, prétexte à une étonnante galerie
de portraits sur fond de béton et de neige.
SUD
(1999)
Dans
cet autre documentaire,
Akerman
s’immerge dans une petite ville du sud des Etats-Unis, théâtre
d’un effroyable crime raciste, commis
par trois suprémacistes blancs.
Elle laisse la parole aux proches de la victime, à ses voisins, à
des témoins et parcourt les lieux de ce lynchage, dans toute leur
terrifiante banalité. Puissant. À
mettre en rapport avec « De l’autre côté », 3 ans
plus tard, filmé des deux côtés de la frontière
américano-mexicaine, après la construction du mur. Des migrantEs
qui meurent dans le désert, des
familles déchirées, des
passeurs malhonnêtes et des
rednecks « pré-trumpistes » paranoïaques.
LA CAPTIVE (2000)
Inspiré
par La Prisonnière de Proust, le film se focalise sur la relation
toxique entre ses personnages. Pathétiquement jaloux, Simon enferme,
épie et pousse à la mort Ariane. Lui qui voudrait la contrôler se
heurte au mystère de son désir. Au lieu d’en être attiré, il
s'en effraie dans une traversée de la nuit qui rappelle parfois Eyes
wide shut. Le film le plus sombre d’Akerman qu’une phrase
d’Ariane résume tristement: «le désir, le hasard, la peur et la
mort laissent les hommes et les femmes seuls face à face». Des
séquences magnifiques sur les vagues la nuit ou les ombres qui
fuient dans les ruelles. Sinistre et beau à la fois.
AVEC SONIA WIEDER-ATHERTON (2003)
Beau
documentaire sur sa compagne violoncelliste. Après une 1ère partie
où Wieder-Atherton raconte sa découverte du violoncelle, la suite
du film est composée de pièces musicales de Janacek, Berio,
Monteverdi et Schubert, interprétées en solo, duo ou trio. Akerman
joue avec les cadrages, les lumières. La caméra s’approche ou
s’éloigne, le cadre s’élargit ou se rétrécit, la scène
plonge dans l’obscurité ou s’éclaire, dialoguant ainsi avec la
musique et créant une œuvre singulière, aussi belle à voir qu’à
écouter. Et puis comme toujours avec elle, sur scène il n’y a
pratiquement que des femmes – et ce n’est pas rien.
++
SAUTE
MA VILLE (1968): son 1er "vrai" court-métrage. Le pendant
de "Jeanne Dielman": Chantal s'enferme dans une cuisine et
la dévaste avant de tout faire sauter au gaz!
LE
15-8 (1973) : une journée dans la vie d’une jeune finlandaise
en vacances à Paris, paresse, ennui et mélancolie vaporeuse portés
par une photographie superbe
DIS-MOI
(1980): une série d'entretiens pour la télé avec des grands-mères
juives qui racontent leurs souvenirs de la 2nde guerre. Le tragique
de la shoah est contrebalancé ici par l'humour et la vitalité de
ces femmes (et Akerman qui se fait engueuler parce qu'elle ne mange
pas assez).
TOUTE
UNE NUIT (1982) : Anatomie d’une chaude nuit d’été, les
couples qui se font et se défont dans une ville enfiévrée
UN
JOUR PINA M’A DEMANDE (1983) : Akerman meets Pina Bausch dans
ce beau documentaire sur la chorégraphe allemande
LETTERS
HOME (1986) : captation théâtrale de la correspondance entre
Sylvia Plath et sa mère, avec Delphine Seyrig
HISTOIRES
D'AMERIQUE (1989): mémoires de l'immigration juive à New-York,
mélangées à des scénettes pleines d'humour.
NUIT
ET JOUR (1991) : une femme a deux amants, l’un la nuit l’autre
le jour, dans ce film au charme délicatement mièvre
PORTRAIT
D’UNE JEUNE FILLE DE LA FIN DES ANNEES 60 (1994) : errances
urbaines d’une jeune fille qui fait l’école buissonière et vit
ses 1ers flirts. Elle dit : « plus je souffre,
plus je souris, je chante même, je fais des choses extravagantes ».
NO
HOME MOVIE (2015): son dernier film, consacré à sa mère morte peu
avant. Poignant.
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